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Les affaires de tricherie, avérée ou simplement suspectée, se multiplient ces derniers temps. La première réaction est de se demander s’il faut s’en lamenter ou s’en réjouir. On peut soit déplorer que le magnifique jeu qui nous émerveille tous les jours soit aussi pourri, soit se féliciter de voir que les brebis galeuses sont férocement traquées; il y a aussi une autre possibilté c’est de craindre que la chasse aux sorcières dégénère en règlements de comptes.
La série a commencé avec les witchs doctors allemands, démasqués aux championnats du monde pour leurs toussoteries trop expressives et exclus, même s’ils essaient encore d’obtenir leur rémission devant des tribunaux civils. Depuis, les affaires s’enchaînent. Il y a eu d’abord les jeunes israéliens Schwartz et Fisher, entourés de la suspicion de leurs pairs pour une accumulation de coups curieux qui seraient trop bien tombés mais comme il n’y a aucune preuve de comportement délictueux, ils doivent bénéficier de la présomption d’innocence. Quoi qu’il en soit, ils viennent encore tout juste de gagner le Spingold et on espère que c’est sur leur seul talent qui est, de toute façon, considérable. Du talent, Fantoni et Nunes en ont à revendre et, eux aussi, se sont retrouvés mis en cause et accusés de communication illicite, à l’occasion d’un Championnat d’Italie. On est un peu dans la comedia dell’arte car l’objet du délit est une donne où, rançon de la gloire, on retient contre Nunes une erreur grossière qui n’a rien coûté, mais dont on l’estime incapable à moins qu’il n’ait « entendu des voix ». Pour résumer, il est à l’entame contre un chelem annoncé après des enchères un peu compétitives. Il a 2 as mais n’est quand-même sûr de rien. Il entame assez normalement de l’As d’une couleur annexe de l’adversaire; il fait la levée et il voit toutes les cartes de cette couleur, sauf une qui peut être dans l’une ou l’autre des 2 mains cachées. A la vue du mort, il est évident que l’autre As, celui de la couleur où son partenaire est intervenu, passe aussi et il est évident de l’encaisser à la 2e levée. Voilà, mais Nunes ne l’a pas fait, a rejoué de la couleur entamée, Fantoni a coupé et cela a permis de faire chuter le chelem de 3 au lieu de 2 sur le flanc évident, pour un bénéfice dérisoire (0 ou 1 IMP d’écart). Les adversaires se sont émus de ce coup et ont porté l’affaire devant une juridiction extérieure (une sorte de Tribunal Arbitral du Sport, si j’ai bien compris) qui, après avoir demandé l’avis d’experts (Garozzo entre autres) a prononcé un non-lieu ou quelque chose d’approchant. En gros, soit Nunes ne triche pas et il a fait une grosse boulette qui, par miracle, ne lui a pas coûté, soit c’est un tricheur et il est inconscient de prendre le risque de se faire remarquer sur un coup sans intérêt.
Plus sérieuse apparemment est l’affaire qui vient juste d’être rendue publique, mais avec très peu de détails, et qui touche Mike Passell, tout juste sanctionné par sa fédération, l’ACBL. Passell est un monument du bridge US, il est professionnel depuis toujours, ce qui veut dire très longtemps car il a un certain âge, il a été champion du monde il y a une trentaine d’années, promène son allure débonnaire d’éternel play-boy à travers les nationaux US qu’il semble disputer par routine, pour entretenir sa paisible retraite. La sanction ne paraît pas très lourde, une suspension avec sursis et une ponction sur ses Masterpoints (l’équivalent des PP français) et même bien indulgente pour les faits qui lui sont reprochés, apparemment d’avoir régulièrement « fait le paquet » ou maquillé des donnes si vous préférez. Ce qui est encore plus étonnant, c’est qu’il faisait partie des victimes des docteurs allemands, il était membre de l’équipe Sénior américaine qui avait stoïquement accepté de perdre la finale des championnats du monde Sénior sans rien dire pour mieux démasquer la paire Elinescu-Wladow. Il était donc devenu Champion du Monde après leur disqualification et venait tout juste de recevoir la médaille au cours d’une cérémonie organisée ces deniers jours à Chicago en marge des Nationaux d’été. D’ailleurs, tel un vulgaire Armstrong, il n’avait pas manqué de jouer les Chevaliers Blancs, en fustigeant les brebis galeuses qui sont la honte de notre jeu.
Pour rester sur les tricheurs, authentiques, calomniés ou repentis, notons qu’on pourra en voir un de près chez nous très prochainement, à l’occasion de notre Division Nationale, l’italien Lanzarotti qui avait été pris en flagrant délit à Ténériffe, suspendu puis très rapidement gracié. Il pourra se faire, de visu, sa petite idée sur la répartition des carreaux à St Cloud.