Une nouvelle affaire de tricherie vient d’éclater. On ne sait jamais trop s’il faut s’en réjouir ou le déplorer. D’un côté, il n’est pas agréable d’apprendre qu’il existe des tricheurs, que le crime fleurit; d’un autre, il est réconfortant de savoir que des escrocs sont démasqués, que le crime ne paie pas. La liste des affaires concernant des paires de haut niveau est étoffée mais elle couvre une période de temps assez longue; évidemment on ne connaît que les cas qui ont éclaté au grand jour et il est difficile d’estimer le nombre de ceux qui sont passés entre les mailles du filet.
Cette récente affaire concerne les allemands Elinescu-Wladow qui ont été démasqués lors des Championnats du Monde Sénior de septembre 2013 qui se déroulaient à Bali. Il faut encore rester prudent car tous les recours ne sont pas épuisés alors qu’ils viennent seulement (mars 2014) d’être jugés et condamnés (10 ans de suspension, interdiction de rejouer ensemble). L’affaire semble avoir été bien instruite avec le souci de les prendre en flagrant délit. Ils utilisaient un mode de communication illicite (s’appuyant sur la toux) pour échanger plus d’informations qu’ils ne le pouvaient par leurs seules enchères. Les autorités ont pris soin de ne pas les accuser dès que sont apparus les soupçons mais ont pris soin de réunir des preuves sans attirer leur attention: enregitrements vidéo (et audio bien sûr, pour la toux!), analyse des donnes jouées, craquage de leur code secret, vérification de son utilisation sur un grand nombre de donnes, de telle sorte que leur comportement délictueux apparaisse incontestable et qu’il leur soit difficile de le nier. On ne peut que compatir avec leurs adversaires américains de cette finale: ils avaient alerté le corps arbitral sur les tricheries adverses mais avaient accepté, pour mieux les confondre, de jouer cette finale comme si de rien n’était, sachant qu’ils ne luttaient pas à armes égales. En principe, quand la procédure sera terminée, les USA devraient récupérer la médaille d’or et La France (battue par les allemands en ½ finale puis par les polonais en petite finale) le bronze. Comme souvent en pareil cas, les accusés traînaient depuis un certain temps une réputation sulfureuse, résultat à la fois d’un style de jeu atypique et d’un comportement assez détestable. A force de décisions surprenantes et d’enchères à l’emporte-pièce, ils avaient réussi à obtenir des résultats exceptionnels (phases finales de grands championnats, vainqueurs de la Coupe d’Europe des clubs champions et donc, Champions du Monde Vétérans). Coté tenue de table, ils étaient très nerveux, irritables, peu amènes avec leurs adversaires et sujets à des éclats de voix quand ils avaient des désaccords; le sommet avait été atteint en ½ finale de la Bermuda Bowl, contre les anglais: dans le dernier segment, alors qu’ils accusaient un retard important mais non irrémédiable, une série de coups désespérés tentés dans l’espoir de se refaire avait très mal tourné, ils avaient commencé à se traiter de noms d’oiseaux et avaient carrément abandonné en cours de partie, sans seulement se préoccuper de leurs partenaires qui s’échinaient dans l’autre salle. Elinescu, qui est psychiatre de son état, avait ensuite expliqué qu’il avait pris cette mesure de son propre chef, pour raison sanitaire, après avoir diagnostiqué qu’il aurait été dangereux pour son partenaire de continuer la partie dans le grave état de confusion mentale qui était alors le sien.
En remontant dans le passé, on peut recenser une dizaine d’affaires de ce style apparues dans les 50 dernières années, qui ont souvent été plus ou moins étouffées ou ont donné lieu à un règlement négocié, les accusés craignant l’infamie et les autorités les frais de justice:
1965: les anglais Reese-Schapiro à la Bermuda-Bowl de Buenos-Ayres. Ils communiquaient avec leurs doigts mais ont toujours nié et l’affaire a fait couler beaucoup d’encre.
1974: les frères indonésiens Manoppo étaient les rois de l’entame, ils n’en loupaient jamais une avec l’As en face du roi second du frangin, jusqu’à ce qu’on leur recommande d’aller exercer leur talent ailleurs, ce qu’ils se sont résolus à faire sans avoir pourtant avoué.
1975: Facchini-Zucchelli membres du Blue-Team, convaincus pendant la Bermuda-Bowl de se faire du pied sous la table. C’était le début de l’utilisation des écrans et ils ne se prolongeaient pas encore sous la table mais ce fut au moins l’occasion de les faire ensuite descendre jusqu’au plancher. L’affaire donna lieu à beaucoup de palabres en coulisse, la paire ne fut pas sanctionnée mais le capitaine italien ne la fit plus jouer et on n’entendit jamais plus parler de ces 2 contorsionnistes.
A la même époque, 2 affaires lors de nationaux US: Katz-Cohen (des homonymes de champions actuels) en 1977 et Sion-Cokin en 1979, affaires traitées avec un minimum de publicité.
Après cette période très agitée, il semble ne plus y avoir eu de gros scandales pendant longtemps.
2005: à Tenerife, aux Championnats d’Europe « light », les italiens Lanzarotti-Buratti furent pris la main dans le pôt de confiture et cette fois l’affaire fit pas mal de bruit. Ils communiquaient avec leurs doigts et sur la donne qui les fit tomber, l’un d’eux alors qu’il était mort avait regardé le jeu d’un adversaire pour le signaler au déclarant. Pressé d’expliquer sa ligne de jeu aussi insolite qu’inspirée, ce dernierl n’avait rien trouvé de mieux que de répondre qu’il avait remarqué que les carreaux étaient toujours curieusement répartis aux Canaries. Sous la pression des autorités internationales, la fédération italienne les suspendit 3 ans, avant de les faire bénéficier, au bout de quelques mois, d’une aministie générale opportunément décidée à l’occasion d’une élection. Le plus regrettable est qu’ils furent ensuite (séparément, quand-même) invités lors d’épreuves de prestige et enrôlés par de riches clients peu scrupuleux.
La France n’a pas été exempte non plus de quelques scandales. Jaïs-Trézel, par exemple, avaient une réputation détestable dans les années 60, en ce sens qu’ils abusaient sans vergogne de l’OBM qui a été dénoncée et combattue par Edgar Kaplan qui a beaucoup fait pour assainir le jeu. OBM pour Old Black Magic, c’était cette mauvaise habitude, très répandue jusque dans les années 70, à profiter des hésitations et du maniérisme du partenaire et même à transmettre volontairement des informations par ces biais: les psychics, alors très fréquents, trompaient rarement le partenaire, la vitesse des contres ou des barrages n’était pas anodine, les conventions étaient pour une bonne part occultes… Ces pratiques douteuses qui trouvaient en partie leur origine dans la « partie libre » où les 3 autres joueurs sont des adversaires, dont l’un est aléatoirement en face de soi de temps en temps, ont heureusement bien régressé mais il en subsiste encore des traces. Par exemple, j’ai eu la surprise, très récemment, d’entendre un joueur m’expliquer en toute candeur, que son partenaire habituel l’avait convaincu d’entamer ses singletons plus vite que ses doubletons, parce que tout le monde faisait comme ça et que c’était tout à fait logique parce que sinon, il était impossible de faire la différence!
Une autre affaire ténébreuse a eu lieu vers 1990 à l’issue de la Sélection: on ne peut pas dire que les 6 joueurs lauréats pour former l’équipe de France étaient ravis du résultat: l’un d’eux, mollement soutenu par son partenaire, a déclaré qu’il ne jouerait pas avec Covo-Paladino dont il mettait en cause la « tenue de table »; les avis étaient partagés, il n’y avait pas de preuve tangible pour récuser la paire incriminée et le comité de sélection, bien ennuyé, finit par renvoyer tout ce petit monde chez eux et par les remplacer par une équipe de juniors; ce fut la 1e sélection de Multon et Quantin, et la dernière de quelques autres.
On peut aussi signaler quelques autres affaires touchant des joueurs de moindre importance, des initiatives individuelles de manipulateurs plus ou moins adroits pour truquer les donnes; soit ils rentraient dans les étuis des donnes « préparées » par leurs soins, ce qui leur permettait d’émerveiller l’assistance en réussissant des coups de cartes spectaculaires, soit ils se procuraient à l’avance les diagrammes des donnes à jouer, ce qui aidait bien pour éviter erreurs et mauvaises inspirations. Trois ou quatre d’entre eux ont pu être démasqués et sanctionnés assez discrètement au cours des 20 dernières années, mais il se peut que d’autres soient passés à travers les mailles du filet.
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